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Manifeste pour ceux qui doutent

22 Fév 2025

Quand j’étais petite, les adultes me posaient une question simple, en apparence :
« Qu’est-ce que tu feras quand tu seras grande ? »

J’avais 8 ans. Et déjà le vertige.
Je devais choisir une peau. Une réponse. Maîtresse, dessinatrice, journaliste… Peu importait, tant que la réaction était : « C’est bien, ma chérie ».

J’ai vite compris le deal : il existait une bonne réponse.
Celle qui valait sourires, amour, estime, validation.
C’était ma première leçon de branding existentiel.

Et j’étais persuadée que si je ne trouvais pas cette fameuse bonne réponse, j’allais rater quelque chose d’immense, peut-être ma raison d’être.


Quand la mission de vie devient un piège

20 ans plus tard, la question revient.
Déguisée en mantra LinkedIn :
« Trouve ta mission de vie. Ton ikigaï. Ton why. »

Tout comme l’injonction à entreprendre pour se réaliser.
On y croit.
On espère un cap, une utilité héroïque, un frisson de légitimité.
On s’imagine que l’univers, un matin, nous enverra notre raison d’être, prête à l’emploi. Mais pour beaucoup, ce colis n’arrive jamais.

Au départ, c’est noble : on veut aider, contribuer, prouver qu’on est quelqu’un de bien.
Et puis, ça dérape.

Le feed clignote, les taglines hurlent : « J’aide X à faire Y pour Z résultat ».
Les doutes ? On les dissout en investissant dans un bootcamp à 12 000 €.
Les victoires et les échecs ? On les raconte pour nourrir l’algorithme.

Ce n’est plus du sens. C’est du business.

Tu n’es plus une personne : tu es une promesse.
Une mini-marque en quête d’audience, avec storytelling intégré.

Et plus tu doutes, plus le système te propose des modèles à coups de funnels, de slogans, de certitudes recyclées:

  • Des coachs qui vendent leur éveil comme une franchise.

  • Des indépendants brillants sur le papier… vides à l’intérieur.

  • Des gourous fatigués qui cherchent encore. Comme toi et moi.


Ce n’est pas toi, c’est le système

Tout le monde court après un sens.
Tout le monde se copie.
Tout le monde cherche une issue à son job alimentaire.

Dans les faits ?
➡ Tu te formes.
➡ Tu t’épuises.
➡ Tu scrolles.
➡ Tu compares.
➡ Tu culpabilises : d’être tropen retardpas assez entrepreneurtrop salarié.

Et tu penses que le problème, c’est toi.
Mais le problème, c’est l’équation.

On t’a fait croire qu’il fallait transformer ton doute en offre, ta douleur en storytelling, ton quotidien en slogan.
Tu t’es retrouvé à gérer une marque personnelle bricolée à coups de mots-clés, de causes recyclées, d’images léchées.

Et tu t’étouffes avec l’étiquette.

Et si tu te foutais la paix ?

Et si tu acceptais d’être un brouillon perpétuel ?

Ce que j’aurais aimé entendre

Tu n’es pas en retard.
Tu n’as rien raté.
Tu n’as rien à prouver, ni aux autres, ni à toi-même.
Tu peux t’arrêter là aujourd’hui, et c’est ok.
Tu n’es pas censé « vendre ton pourquoi. »
Tu n’as pas besoin de sauver le monde pour mériter ta journée.

Pas besoin de slogan, de plus de chiffres, de grande vision.

La mission est souvent un piège.
S’en libérer, c’est parfois choisir autre chose : le calme, l’isolement, une forme de paix.


Et si on arrêtait de crier ?

Le mois dernier, j’ai passé 2 semaines dans une école maternelle pour un stage d’observation.

Et j’ai vu, pas avec mes yeux d’adulte en quête de sens, mais avec mes yeux d’humain.
Des tout-petits. Une enseignante en fin de carrière. Une présence. Un travail bien fait.

Pas de storytelling, de pitch, de stratégie.
Elle ne levait pas les yeux pour vérifier si quelqu’un regardait.
Elle n’avait pas besoin de liker sa journée.

Et les enfants lui rendaient tout : des regards, des câlins, des progrès.
C’était suffisant.

Alors, j’ai vu l’absurdité de notre monde d’indépendants :

  • Le bruit.

  • Le besoin de se positionner.

  • L’obsession de l’alignement.

  • La fatigue d’expliquer pourquoi ce qu’on fait est “extraordinaire”.

Si tu veux des clients, ne fais pas plus de bruit.
Laisse le spectaculaire aux autres.
Montre ton travail. Sois bon et régulier.
Joue long terme.

Tu n’as pas à te brander pour être plus visible.