À 15 ans, j’ai quitté ma campagne du Pas-de-Calais pour aller étudier à l’Ecole Supérieure des Arts Appliqués et du Textile, à Roubaix.
J’avais l’air d’un poussin sorti de l’œuf : gentille, crédule, sans défense.
Résultat : la première semaine, à Eurotéléport, 2 filles m’ont racketté mon portable.
20 ans plus tard, je tiens à transmettre cette leçon avant de redevenir une anonyme d’ici quelques semaines : dans le monde du travail, du business ou même de l’éducation, les naïves se font dévorer.
Ce billet, c’est pour vous, si vous avez du cœur, de l’élan, des rêves, et que vous voulez réussir sans vous faire croquer.
Sommaire
Comment les gentilles se font manger.
Une ingénuité structurelle
Quand on est gentille (et j’utilise ce mot avec tous les sous-entendus péjoratifs qu’il véhicule) on pense que les autres fonctionnent comme nous.
Alors, on fait confiance trop vite et parfois, on devient exactement ce que les personnalités toxiques cherchent : quelqu’un de disponible, d’utile, de malléable.
D’autant plus si vous avez des blessures non digérées, un besoin de reconnaissance, ou un fantasme de mentor providentiel. Car plus vous cherchez une tribu ou un sauveur, plus vous attirez ceux qui sauront utiliser ce vide contre vous.
Le psychologue Paul Babiak et le spécialiste mondial de la psychopathie Robert Hare l’ont documenté dans leur livre Snakes in Suits: When Psychopaths Go to Work. Ils montrent que les personnalités narcissiques, machiavéliques ou psychopathes sont surreprésentées dans les postes de pouvoir (dirigeants, cadres, influenceurs), notamment en entreprise. Jusqu’à 4 % des cadres dirigeants répondraient à ces critères, contre 1 % dans la population générale.
Pourquoi ? Parce que ces profils veulent être adulés, dominer ou contrôler et qu’ils excellent dans l’art de séduire, manipuler, créer une dette symbolique.
La conviction que la gentillesse suffit n’est pas une faiblesse individuelle.
Elle est le produit d’une construction sociale, culturelle et genrée. Elle s’enracine dans des systèmes d’éducation, des normes de genre et des mécanismes professionnels qui, ensemble, façonnent une ingénuité structurelle.
L’entraide valorisée dans les milieux modestes
Dans les milieux ruraux ou modestes, l’entraide est valorisée comme une vertu. On y apprend à être serviable, reconnaissante, fiable.
Ces qualités sont transmises comme des normes sociales, sans inclure la notion de stratégie ou de négociation.
Cette éducation peut conduire à une vision idéalisée des relations humaines, où l’on suppose que la bonté sera naturellement récompensée.
Les filles sont encore majoritairement éduquées à la compliance émotionnelle.
Elles apprennent à éviter les conflits, à être conciliantes, à valoriser l’harmonie des relations.
Cette socialisation genrée les prépare moins à affronter les rapports de force ou à revendiquer leurs droits.
Selon une étude de France Stratégie, en 2022, un quart des Français continue d’adhérer fortement ou modérément aux stéréotypes de genre, avec un écart significatif entre femmes et hommes.
Les transclasses face aux codes implicites du monde du travail
Les femmes transclasses, c’est-à-dire celles qui changent de classe sociale au cours de leur vie, arrivent souvent dans le monde du travail sans avoir été préparées aux logiques implicites de pouvoir, de dette, de hiérarchie symbolique.
Elles peuvent croire qu’en faisant bien leur travail, elles seront reconnues.
Or, le monde professionnel ne fonctionne pas sur la reconnaissance, mais sur l’opportunité.
Comme l’explique Chantal Jaquet, philosophe spécialiste de la question des transclasses, ces personnes doivent naviguer entre leur milieu d’origine et leur milieu d’acculturation, ce qui implique de comprendre et d’adopter de nouveaux codes sociaux et professionnels .
La manipulation : une pratique ordinaire, pas toujours malveillante
Souvent perçue comme malveillante, réservée aux individus toxiques ou aux situations extrêmes, la manipulation est pourtant omniprésente dans nos vies, notamment dans le monde professionnel. Travailler, c’est influencer, convaincre, obtenir quelque chose. Et parfois, c’est utiliser l’autre.
Les gens vous sollicitent parce que vous êtes visible, parce que vous savez des choses qu’ils ignorent, ou parce que vous leur êtes utiles. Ils ne sont pas là pour vous, mais pour ce que vous leur apportez.
Ce n’est pas grave, à condition que vous le sachiez, et que ça vous convienne.
Vous pouvez très bien entretenir des relations de circonstance, à condition qu’elles soient conscientes, équilibrées, et sans illusion.
Ce ne sont pas des amitiés, mais des partenariats.
Ce qui devient toxique, c’est quand une relation de pouvoir est déguisée en lien affectif.
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Quand un compliment cache une attente.
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Quand une mise en lumière crée une dette.
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Quand une aide gratuite attend un retour jamais explicite, mais toujours exigé.
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Quand on vous complimente mais qu’on ajoute un mais immédiatement derrière.
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Quand on vous rabaisse sous couvert d’humour…
En business, la plupart des gens sont stratèges.
Ils se servent de vous, comme vous vous servez peut-être d’eux.
C’est un jeu d’influences.Mais ça, pour les naïves, gentilles, sorties de leur campagne, ce sont des choses difficiles à appréhender.
Techniques de manipulation courantes
Plusieurs techniques de manipulation ont été identifiées et étudiées par des psychologues :
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Le pied-dans-la-porte.
Cette technique consiste à obtenir un premier accord sur une demande peu coûteuse pour ensuite formuler une demande plus coûteuse. L’acceptation de la première demande augmente la probabilité d’acceptation de la seconde. -
La porte-au-nez.
À l’inverse, cette technique implique de faire une demande excessive qui sera probablement refusée, suivie d’une demande plus raisonnable. Le contraste entre les deux demandes rend la seconde plus acceptable. -
L’amorçage.
Il s’agit de présenter une offre attrayante pour obtenir un engagement, puis de modifier les conditions de l’offre une fois l’engagement obtenu.
Plus toxiques, et qui malheureusement existent :
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Le gaslighting.
Cette forme de manipulation mentale vise à faire douter une personne de sa mémoire, de sa perception de la réalité et de sa santé mentale, en déformant ou en niant des faits. -
Flatterie ou valorisation excessive.
Utiliser des compliments pour gagner la confiance et obtenir des faveurs. -
Culpabilisation.
Faire sentir à quelqu’un qu’il est responsable des problèmes ou des échecs, même s’il n’en est pas la cause. -
Isolement.
Éloigner une personne de ses collègues ou de ses soutiens pour mieux la contrôler. -
Dénigrement.
Critiquer ou ridiculiser quelqu’un pour diminuer sa confiance en soi et sa crédibilité. -
Triangulation.
Faire intervenir une troisième personne pour se renseigner sur vous, vous rappeler leur existence, créer de la jalousie, de la compétition ou du doute. -
Confusion volontaire.
Alterner flatterie et humiliation, pour créer un état de dépendance émotionnelle. -
Projections.
Accuser l’autre de ce que le manipulateur fait lui-même (mensonges, trahisons, etc.). -
Doubles contraintes.
Poser deux injonctions incompatibles (ex. : “sois autonome, mais fais comme je dis”). -
Surcharge cognitive.
Noyer l’autre sous des justifications, chiffres, logiques floues pour le décrédibiliser. -
Chantage affectif.
Lier l’amour, la loyauté ou la reconnaissance à une obéissance implicite. -
Silence radio / retrait brutal.
Punition psychologique visant à créer un manque ou une panique. -
Hyper-disponibilité soudaine.
Phase de “love bombing” ou de générosité exagérée pour récupérer une emprise. -
Discrédit externe.
Miner la réputation de la personne auprès d’autres pour l’isoler ou décrédibiliser sa parole. -
Inversion de la charge.
Faire croire que la victime est en réalité le problème. -
Amorçage.
Obtenir un engagement sur une base flatteuse, puis changer les termes. -
Fausse urgence / pression.
”l faut décider maintenant”, pour empêcher la réflexion. -
Micro-agressions répétées.
Sarcasmes, blagues douteuses, sous-entendus pour user lentement la confiance. -
Exigences floues.
Ne jamais clarifier ce qui est attendu, pour pouvoir toujours reprocher un manquement. -
Renforcement intermittent.
Alterner encouragements et rejets pour créer un attachement addictif (cf. “effet casino”). -
Feindre la vulnérabilité.
Se présenter comme fragile ou victime pour éviter les critiques ou prendre le pouvoir indirectement. -
“Faveurs” intéressées.
Offrir une opportunité pour créer une dette symbolique. -
Cooptation faussement bienveillante
Se présenter comme mentor ou sauveur, puis instaurer une domination. -
Vol d’idées ou de mérite.
S’attribuer le travail des autres tout en les mettant en position d’infériorité.
Vous pouvez mettre en place des stratégies pour les contrer.
Entrepreneuriat féminin : l’illusion de la dette symbolique
Dans le monde de l’entrepreneuriat féminin, une dynamique s’installe souvent : celle de la dette symbolique. Cette dette, non contractuelle et non monétaire, naît de services rendus, de mises en relation ou de soutiens informels, et peut évoluer en une forme de dépendance psychologique ou professionnelle.
La dette symbolique : un piège insidieux
J’ai vu des femmes brillantes perdre leur autonomie à cause d’un apporteur d’affaires, d’un partenaire généreux ou d’un influenceur les mettant en lumière.
Cette sensation de dette peut les amener à accepter des conditions désavantageuses, à retarder des décisions stratégiques ou à maintenir des relations professionnelles déséquilibrées.
C’est un mécanisme bien connu.
Le baromètre SISTA x BCG révèle que les femmes entrepreneures sont moins financées, moins soutenues, plus isolées que les hommes — mais souvent plus résilientes. Cette solitude les pousse parfois à s’accrocher à des figures toxiques ou paternalistes, par manque d’alternatives visibles.
Une étude de l’INSEE indique que 10 % des travailleurs indépendants dépendent économiquement d’un client unique, ce qui les expose à des risques accrus en cas de rupture de la relation commerciale.
La dépendance économique : une réalité préoccupante
Cette dépendance à un client unique ou dominant peut entraîner une perte d’autonomie et une vulnérabilité financière.
Les femmes entrepreneures, en particulier, peuvent se retrouver dans cette situation en raison de réseaux professionnels moins étendus ou de difficultés d’accès au financement.
Selon une étude de Proparco, les femmes entrepreneures ont des perspectives de croissance inférieures de 38 % par rapport à celles des hommes, en partie à cause de l’accès limité aux ressources et aux réseaux.
Les implications psychologiques et professionnelles
La dette symbolique peut également avoir des répercussions sur la confiance en soi et la prise de décision.
Les femmes peuvent hésiter à refuser des propositions, à négocier des contrats ou à mettre fin à des collaborations, de peur de paraître ingrates ou déloyales.
5 règles pour ne pas se faire dévorer
Voici quelques principes fondamentaux, notamment pour les femmes transclasses qui cherchent à évoluer dans le monde professionnel :
1. Dire non / stop sans vous justifier
Dire non n’est pas un acte d’égoïsme, mais une affirmation de soi. Il est important de comprendre que la réaction de l’autre ne dépend pas de vous, mais de ses propres expériences et émotions.
2. Reconnaître les signes de manipulation
Restez vigilante face aux comportements manipulateurs, qui peuvent inclure la flatterie excessive, la culpabilisation ou l’isolement.
Apprenez à identifier ces signes permet de se protéger et de maintenir des relations professionnelles saines.
3. Cherchez le respect, pas l’amour
Celles qui veulent être aimées, validées ou acceptées par un mentor, un influenceur, un groupe, finissent exploitables, culpabilisées, sous-payées ou silencieuses.
Cherchez le respect, et cherchez à être reconnue pour votre expertise et votre travail. Les hacks n’existent pas.
4. Ne confondez pas gratitude et dette
Un service, une opportunité, un coup de pouce… ce n’est pas un pacte de sang.
Vous pouvez remercier, mais vous n’avez pas de dette à vie. Sinon, ce n’était pas de l’aide, c’était une prise de pouvoir.
5. Fiez-vous à votre intuition
Si c’est flou, si quelque chose cloche, même sans preuve, écoutez. L’intuition, c’est la synthèse silencieuse de toutes vos données internes. S’il y a dissonance, alors c’est réel. Si vous hésitez, si vous ressentez un stress ou que ça vous éteint, alors c’est stop. C’est un principe de base.
Bonus : Bon à savoir
Vous ne pouvez pas faire la différence immédiatement.
Parce que les vrais gentils et les manipulateurs ont les mêmes signaux au départ :
douceur, attention, intérêt pour vous, empathie apparente.
Mais le test, ce n’est pas ce qu’ils montrent, c’est ce que vous ressentez dans votre corps au fil du temps. Et ce que vous observez quand vous posez une limite, ce sont les actes qu’ils font en public versus, ceux qu’ils font en privé.
Conclusion
Ce que j’ai mis 20 ans à comprendre, je vous l’ai donné aujourd’hui.
Le monde professionnel ne récompensera jamais votre bonté, mais il respectera vos limites si vous apprenez à les poser. La gentillesse est une force conditionnelle, pas une faiblesse.
Alors, restez cette femme sincère, généreuse, chaleureuse.
Mais ajoutez-y un filtre : Un délai de réponse, un contrat clair, des conditions explicites, une phrase prête à dire stop.